résumé
Revenir n’est pas un verbe est spectacle-manifeste sur l’exil, conçu et interprété par des personnes réfugiées en France aujourd’hui.
Commencé en juin 2022, le projet part de l’histoire d’artistes réfugié·es présent·es sur scène et de la décomposition de leurs affects face à la vulnérabilité. Entre danse-théâtre, performance et intelligence artificielle, le spectacle puise dans les références culturelles des membres du projet.
Les artistes pluridisciplinaires révèlent le regard intime et profond de celles et de ceux qui vivent l’exil dans leur propres corps, et créent, grâce à la scène, la possibilité d’«être» sur cette nouvelle terre qui les accueille, entre construction et déconstruction théorique et empirique.
"Le passeport est la partie la plus noble de l'être humain... Un être humain est, en un sens, nécessaire au passeport. Le passeport est l'élément principal, pas l'être humain"
Dialogues d’exilés, Bertolt Brecht
objectifs
Le projet s’appuie sur la déconstruction du regard sur les corps vulnérables, en abordant des éléments de la construction historique et coloniale. Il s’agit d’un aller-retour incessant entre la nécessité de survivre et celle de créer.
Devenu dépositaire des histoires de chacun·e, le metteur en scène-chorégraphe utilise des ressources propres à l’auto-documentaire investigatif. L’objectif est de créer un spectacle, conçu de façon à en faciliter le transport et la diffusion dans tous les pays à l’exception de ceux où les interprètes du projet sont interdits.
Sachant que l’exil est un acte politique et que la Convention de Genève du 28 juillet 1951 définit les bases de la protection internationale des réfugié·es, plusieurs questions se dégagent et fondent la trame du spectacle: Quels souvenirs habitent nos corps? Comment les hiérarchies morales construites autour des rapports sociaux de race, de genre, de classe et de religion structurent-elles notre arrivée en France? Qui définit les circonstances dans lesquelles l’État nous accepte ou nous rejette? Comment les conséquences historiques (construction de la nation, expansion du capital et domination coloniale) ont-elles façonné notre venue?
Au-delà d’un diagnostic contemporain, il existe une intersection, presque imperceptible, entre ces questions: la possibilité de décoloniser les affects. L’orientation sociale du projet se fonde sur la considération de l’affect comme un aspect essentiel de la culture de chacun·e et sur les relations de pouvoir. Le plus souvent, les gens projettent sur le mot «affect» la dichotomie raison-émotion. Pour le philosophe brésilien Vladimir Safatle, il est nécessaire de simplifier les affects, et de sortir de cette dichotomie. L’enjeu étant alors de décoloniser les affects.
projet
Le spectacle-manifeste est un champ de bataille, traversé par des siècles de conflits d’intérêts politiques et religieux, faisant des vies humaines de simples objets de marchandise.
En juin 2022, Órion Lalli propose une rencontre avec les artistes membres de l’atelier des artistes en exil. Il amorce un chantier d’investigation qui interroge l’exil.
Permettre aux personnes «déplacées» de s’approprier leurs trajectoires et expériences, rend possible une vision primitive de l’exil.
Comment rendre le processus de création plus démocratique et plus sensible face aux interférences affectives? Comment inclure les affections individuelles-collectives liées aux réalités, nouvelles, de la société française dans le processus de création?
Pour ce faire, la dramaturgie scénique s’appuie sur les techniques d’improvisation Campo de Visão (Champ de vision), portées par le théâtrologue brésilien Marcelo Lazzarato. À partir du répertoire personnel de chacun·e, différentes images scéniques et partitions corporelles sont créées puis chorégraphiées, donnant corps au spectacle.
En lien avec un travail d’écriture autobiographique, les artistes du projet étudient Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht, qui était également réfugié. Il s’en approprient la méthode.
La création sonore et visuelle est exclusivement conçue pour le spectacle. Elle inclue du mapping vidéo et les ressources de l’intelligence artificielle. L’espace scénique est aussi un chantier en construction, il met en dialogue l’esthétique bouillonnante de la rue (vagabond·es, camarades de chantiers, faune nocturne…) avec les costumes nécessaires à la représentation des stratifications de la société française.
Les membres du projet constituent un corps diversifié en termes d’âges, de nationalités et de disciplines artistiques (danse contemporaine, théâtre, arts visuels, performance). Les participant·es sont principalement des artistes femmes, exilé·es, réfugié·es et immigré·es, usant de la diversité et de l’inclusion sociale comme outil d’affirmation.
Les artistes évoluent dans l’espace public — lieu démocratique qui favorise la pluralité des échanges et nourrit l’intérêt du metteur en scène-chorégraphe pour l’expression documentaire. L’ensemble du travail est basé sur des expériences sensorielles et humaines.
L’ensemble du processus de recherche du spectacle est documenté: mouvements corporels consignés sous forme de dessins, vidéos de différents exercices scéniques, enregistrements audio et textes documentaires. Ce matériau sert de base de recherche pour la conception textuelle et dramaturgique du spectacle.
Les artistes sont accompagné·es par deux professeures, afin d’améliorer la compréhension, la phonétique, la diction de la langue, et pour introduire la déconstruction de la binarité du langage. Pour le projet, le français est principalement utilisé mais les langues maternelles de chaque artiste sont préservées.
terrains en construction
Le projet s’est structuré durant plusieurs résidences, dits «terrains en construction», autour du texte de Bertolt Brecht et des techniques d’improvisation de Marcelo Lazzarato.
La première résidence (été 2022) s’est déroulée au couvent de La Cômerie, centre d’art de Montevideo. Les parcours individuels d’exil, les trajectoires physiques et psychologiques des artistes sont mis en avant, ainsi que leurs premiers souvenirs d’enfance. Le livre Passaporte de Fernando Bonassi est utilisé comme support esthétique et visuel pour la création du futur programme du spectacle-manifeste.
La deuxième résidence a eu lieu au Vieux-Port de Marseille (été 2022), sous forme d’une grande balade dansante à partir de l’exercice «champs de vision». Un contact avec les passant·es se crée, facilitant un dialogue physique entre leurs corps et la ville. Des partitions corporelles sont générées pour être utilisées durant le spectacle. Tout le «terrain en construction» est documenté par des vidéos et des photos, publiées sur Instagram.
La troisième s’est passée au SOMA, centre d’art hybride (hiver 2022). Orion Lalli propose un atelier vivant, ouvert au public. Les passant·es et les curieux·ses peuvent y participer en écrivant leurs ressentis, dessiner et se joindre à l’exercice scénique. À la fin de la résidence, une vidéo est présentée au public, elle reprend tout le processus de recherche. Elle se conclue avec une table ronde vivante, mise en place par les artistes, en interaction avec le public.
Le quatrième «terrain» a lieu chez les artistes: une maison d’urgence pour des artistes en situation d’exil qui partagent leur vie quotidienne. Là vivent des enfants, des nouveau-nés, des grands-parents et des résident·es qui ne font pas partie de la troupe. Au sein de cet espace, les artistes préparent la prochaine étape. Ils confectionnent les costumes, les accessoires de scène, et construisent la scénographie avec une recherche de supports visuels relatant des faits historiques français. Les artistes utilisent l’intelligence artificielle, la projection, la vidéo en direct et construisent ensemble la sonoplastie (conception du son comme une matière plastique). Dans l’idée de préserver le premier élan démocratique, les artistes invitent d’autres membres de l’atelier des artistes en exil à participer à leur création à la maison. Le projet est pensé pour s’émanciper, se développer et devenir nomade.
Le cinquième «terrain en construction» se déroule à La Friche de la Belle de Mai, dans un lieu de répétition avec l’accès à du matériel professionnel et à un espace intime fermé. Ils utilisent l’ensemble des expériences précédentes pour les imbriquer dans ce nouveau lieu et construire le premier plan général de leur spectacle-manifeste. Une balade en costumes dans les locaux de la Friche permet d’apporter un regard extérieur et critique à la troupe.
Tout le processus, jusqu’à maintenant, a été réalisé sans aucun financement. Le sixième «terrain en construction» peut avoir lieu grâce au fond de dotation Porosus et grâce au Théâtre Joliette qui l’accueille. Il a pour but de trouver une suite professionnelle au projet.
Le septième chantier en construction - Sensibilis 2023 / Cagnes-sur-Mer - se déroule dans au sein d’institutions d’accueil de publics petite enfance, enfance et jeunesse. Puis une journée-événement est co-écrite par les acteurs et partenaires de l’évènement, celle ci clôture les résidences par un parcours sensible où des créations poétiques immédiates, des labos et des visites artistiques augmentées sont proposés à un tout public dès le plus jeune âge.
Nous avons développé, au cours de 8 jours d'immersion, une série de matériaux vidéo, créé des textes et des provocations artistiques. Ce processus a été d'une importance extrême pour le projet. Je laisse ici quelques-uns des matériaux vidéo.
Órion LALLI
Je suis né à Campinas. Je suis un artiste visuel et performeur. Diplômé d’études théâtrales à l’intersection de la performance et de la danse-théâtre, je fonde le Grupo Tarto de Teatro et reçoit de nombreux prix. Activiste, mes œuvres sont documentaires et s’inspirent d’expériences personnelles. Depuis 2018, je développe le projet EM. COITROS - rencontres érotiques d’un corps vivant avec le VIH qui dénonce l’effacement et les discriminations dont sont victimes les personnes LGBTQIAP+ au Brésil. J’arrive en France en 2021, après avoir subi la censure d’État, des persécutions et avoir été accusé de crimes. Après une première exposition solo au Soma à Marseille, ma performance Au bout du monde en auto-stop est présentée au Mucem durant le festival Actoral 2022.
Âmbar ARMAS
Je suis née à Caracas. Je développe une pratique artistique multidisciplinaire. Je commence l’art à 16 ans et étudie la photographie, la peinture ainsi que la sculpture. Arrivée en France en 2022, je réalise des installations visuelles et participe à des expositions. Je m’investis dans des projets de transmission culturelle.
Nataliya PERMITINA
Je suis née à Moscou. Je suis ingénieure-chercheuse en électronique. Diplômée d’ingénierie électronique, à l’Institut Minier de Moscou, je dépose un brevet qui permet de sécuriser le travail des mineurs en Russie. Je passe cependant la plus grande partie de ma carrière dans le domaine de la publicité et du marketing où je mets en place des stratégies commerciales. Mon domaine d’expertise se situe dans la relation client et la gestion de campagnes promotionnelles. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, je quitte la Russie. Après mon arrivée en France, je participe activement à des projets collectifs qui interrogent les parcours migratoires. En 2022, je présente une lecture performative avec Yana Rodzobuko dans le cadre d’Actoral au couvent de la Comerie.
Arsenii MAZHUGA
Je suis né à Saint-Pétersbourg. Je suis un artiste pluridisciplinaire, musicien électronique, photographe et cameraman. Diplômé en direction de la photographie à l’Institut du cinéma et de la télévision de Saint-Pétersbourg en Russie, je produis également de la musique allant du punk à la techno, organise des évènements et anime une émission de radio. Je produis également des bandes originales de films, de courts-métrages et de pièces de théâtre. En mars 2022, je me rends en Géorgie et forme un duo de musique électronique russo-ukrainien avec Sergiy Verkhovskyy.
"Cette bière n'est pas une vraie bière, bien que cela soit peut-être compensé par le fait que ces cigares ne sont pas non plus de vrais cigares - mais votre passeport, ça doit être un passeport. Sinon, ils ne vous laisseront pas entrer."
Dialogues d’exilés, Bertolt Brecht
soutien de secours
terrains de déconstruction
ARCHITECTE ET MAITRE D’OUVRAGE
Órion LALLI
OUVRIER·ÈRE·S
Âmbar ARMAS
Nataliya PERMITINA
Órion LALLI
CARRELEUSE
Ana Maria ZAVADINACK
SUPERVISEUR DE SON ET DE L'AUDIOVISUEL
Arsenii MAZHUGA
INGÉNIEURES PHONÉTIQUES
Estelle ANDRÉ
Margot MONSILLON
DÉCONSTRUCTEUR·RICE·S LINGUISTIQUE
Camille COUSIN
Ana CLAUDIA
Ismael PAZ
RAYONNEUR LUMIERE
Órion LALLI
ÉLECTRICIEN DE TERRAIN
Christian NOEL
PLAQUISTE DE MASQUES
Âmbar ARMAS
BÂTISSEUR DE MASQUES
Órion LALLI
SOUDEUR DE VÊTEMENTS
Órion LALLI
MAÇON·NE·S VIDEASTES
Vlada BULLAT